15 mars 2012

La trêve hivernale est du 15 octobre jusqu'au 15 avril...pour les pelouses de la Ville de Paris. Elles ont bien de la chance, les pelouses, plus de chance que les pauvres, car la trêve hivernale se termine pour eux le 15 mars avec le retour des expulsions locatives.

 

Cela n'a rien de surprenant dans une certaine France qui, depuis 5 ans, a fait siennes les thèses de la grande « révolution conservatrice » emmenée tambours battants par Reagan aux USA et Thatcher en Grande-Bretagne dans les années 80-90 et que découvre notre pays, avec un certain retard.

 

L'expulsion locative est un vestige de la prison pour dettes chère à la bourgeoisie conquérante du XIX ème siècle. Il n'est sans doute pas inutile de revoir avec un peu de précision le mécanisme de l'expulsion locative aujourd'hui en France. Nous ne retiendrons ici que le cas du locataire ou de l’accédant propriétaire qui ne peut plus payer son loyer ou les mensualités de remboursement de son prêt immobilier. Cette situation représente l'essentiel des expulsions. Les autres situations sont plus limitées en nombre, comme l'expropriation ou la vente de l'appartement occupé par un locataire ou la reprise par un bailleur de son appartement. Ces circonstances visent d'ailleurs, en général, une autre catégorie sociale que le « pauvre ».

 

1er Etape : La justice

 

La procédure de l'expulsion locative commence par une décision du Tribunal d'Instance qui met fin au bail du locataire pour défaut de paiement du loyer en faisant jouer la clause résolutoire et qui « ordonne » l'expulsion du locataire et de tout habitant de son fait. Devant le Tribunal d'Instance, même si la loi dispose que les parties peuvent se défendre elles-mêmes sans l'assistance d'un avocat, négocier un délai pour quitter son logement ou encore un échéancier de remboursement n'est guère jouable pour le locataire s'il ne bénéficie pas de l'assistance d'un avocat. Dans plus de 90% des cas, l'avocat n'intervient que du coté propriétaire, mais rarement du coté locataire. Pourquoi ? La réponse est simple : le locataire pauvre n'a pas les moyens de se payer un avocat. Les bonnes âmes diront..."Mais il y a l'aide juridictionnelle qui prend en charge les frais d'avocat pour une personne dans la précarité ! »

Mais ces bonnes âmes, un peu « bobos » sur les bords, ne s'intéressent guère à ce qu'est devenu ce système de l'aide juridictionnelle dans la France de la « Révolution Conservatrice ». C'est ainsi que l'Union Européenne a épinglé la France dès 2009 sur le fait que le libre accès à la justice n'y était plus assuré pour les personnes démunies. Elle avait fait remarquer que les plafonds de l'aide avait été abaissés et que les délais nécessaires à l'obtention d'une décision avaient été, quant à eux, relevés. Lente, l’aide juridictionnelle est devenue rare comme le montre encore la CEPEJ qui relève que seulement 143 affaires pour 10 000 habitants en bénéficient avec un montant moyen d'honoraires de 335 euros.

Les délais ahurissants pour obtenir l'aide juridictionnelle ont aujourd'hui des conséquences graves. Il se trouve en effet que désormais la plupart des magistrats des Tribunaux d'Instance considèrent qu'ils n'ont pas à attendre, pour rendre leur décision, l'octroi ou non d'une aide juridictionnelle à la partie la plus faible. Et bien que cela soit contraire à une certaine éthique, ils ajoutent bien souvent ce que l'on désigne sous le nom pudique d’exécution provisoire...Ce type de jugement (donc prononcé sans avocat aux côtés du locataire) oblige ensuite d'une part à des frais supplémentaires d'appel (avocat et avoué), mais encore vide en général cet appel de tout sens, car pendant le délai qui va courir jusqu'à l’arrêt, il est rare que le propriétaire disposant de la grosse exécutoire ne passe pas aux actes en faisant expulser son locataire. Dès lors, même si ce dernier obtient gain de cause 1 ou 2 ans après son expulsion, il n'a guère les moyens d'obtenir réparation du préjudice qu'il a subi du fait de cette expulsion.

Certes, on sait qu’il existe un Juge de l’exécution, on sait qu'il existe un « référé d'appel », pour toutes ces situations bancales où l'urgence est requise, et là encore les « bons esprits » se rassurent, mais c'est mal connaître la réalité de la procédure.

1) Devant le JEX, le locataire menacé d'expulsion peut demander un délai pour quitter son logement actuel. Mais, le locataire condamné se retrouvera encore ici sans avocat et devra faire face à la situation suivante : le JEX n'intervient pas sur le fond, si une exécution provisoire a été prononcée, il ne peut que constater que le magistrat du Tribunal d'Instance savait ce qu'il faisait en la prononçant et dès lors, il ne peut que rarement faire fi de cette première décision. Précisons que le locataire devra déposer un nouveau dossier de demande d'aide juridictionnelle pour passer devant le JEX. Là encore le délai moyen est de plusieurs mois...même si d'aucuns prétendent qu'il existe une procédure d'urgence. Autre détail, mais important : l'ancienne demande d'aide juridictionnelle est d'office caduque dès la décision prononcée et dès lors c'est une toute nouvelle demande qui doit être faite, avec un nouveau délai à courir. Il est toutefois fortement conseillé de saisir le JEX pour demander un délai à une expulsion. Malheureusement, du fait notamment de la « révolution conservatrice », la saisine du JEX n'est pas suspensive de la procédure d'expulsion. Ce qui signifie encore que l'huissier poursuivant peut accélérer l'expulsion dès qu'il est informé que le JEX peut rendre une décision contraire à l'intérêt de son client-propriétaire.

2) Dans le cas du référé d'appel, il faut obligatoirement avoir un avoué. Si le locataire n'a toujours pas son aide juridictionnelle, il a peu de chance de l'obtenir en urgence dans ce contexte, car notons au passage ici encore, qu'il doit déposer un nouveau dossier de demande d'aide juridictionnelle devant la Cour d'Appel. Précisons encore que le recours au « référé d'appel » n'est pas suspensif.

 

2° La phase sociale

 

Dès le jugement d'expulsion, en fait légalement dès les conclusions aux fins d'expulsion déposées devant le Tribunal d'Instance par l'avocat du bailleur, les services sociaux sont tenus de faire une enquête sur le locataire menacé d'expulsion. Cette enquête sera par la suite communiquée à la Préfecture. Les nouvelles méthodes de la France de la « Révolution Conservatrice » ont pratiquement vidé de tout sens cette étape vers l'expulsion. Elle avait essentiellement pour but de « reloger » le locataire et sa famille. On sait qu'il n'y a plus guère d'espoir de ce côté.

 

3° La phase « répressive »

 

a) La Préfecture – 1er étape

 

L'huissier poursuivant à l'expulsion s'adresse alors directement à la Préfecture pour obtenir le concours de la « force publique » contre le locataire qui est toujours dans son logement après la signification du jugement et le commandement d'avoir à quitter les lieux. En droit, ni le propriétaire, ni l'huissier poursuivant ne peuvent « mettre à la porte manu militari » le locataire condamné, seule la police est habilitée à exercer la violence contre un citoyen. La Préfecture en plus de l'enquête sociale, qu'elle a déjà reçue, fait convoqué le locataire par le commissariat locale afin d'établir le dossier préparatoire à l'expulsion. Au stade de la Préfecture, le locataire condamné à être expulsé est, en général absent. Il n'est que rarement en contact direct avec le service des expulsions de cette dernière et s'il peut établir ce contact, c'est de peu d'intérêt pour lui. La Préfecture lui répond qu'elle ne peut accorder aucun délai, car le propriétaire à la demande d'expulsion peut se retourner contre l'Etat pour défaut d'exécution d'un jugement et le faire condamner à des dommages-intérêts.

 

b) Le commissariat – 1er étape

 

Les fonctionnaires de police, à l'exception peut-être de quelques «rambos», sont sûrement parmi les plus mal à l'aise devant la procédure d'expulsion. Rares sont les policiers enthousiasmés par le fait d'exercer la violence contre des gens dont le seul crime est d'être pauvres. Ils savent bien, en dernière instance, que le sale travail leur reviendra. Lors de la convocation, ils doivent tenter de savoir si le locataire a la possibilité d'un relogement et dans quels délais. C'est un moment important, car au vu de ce rapport, et si le délai semble « jouable » pour la Préfecture, le locataire pourra obtenir une certaine trêve. Normalement, c'est à ce stade que devrait jouer la loi Dalo...mais on peut toujours rêver.

 

c) La Préfecture – 2ème étape

 

Après le retour du dossier par le commissariat, la Préfecture prend la décision d'accorder ou non le concours de la force publique. Lorsque la décision est d'accorder le concours de la force publique, elle doit avertir le locataire par courrier.

 

d) Le commissariat – 2ème étape

 

Le commissariat reçoit la copie du courrier de la Préfecture et il doit en conséquence informer le locataire qu'à partir de telle date, il doit avoir rendu les clefs de son logement. Ce document est souvent remis dans la boîte à lettres du locataire visé par l'expulsion et il arrive parfois...qu'il n'atteigne jamais son destinataire. Il est possible de négocier pour le locataire un délai...mais bien court, car la police n'a toutefois que peu de latitude face aux ordres de la préfecture

 

e) Une procédure méconnue : le référé administratif

 

Dans le cas où le jugement rendu contre le locataire a été obtenu sans avocat et sans que le Tribunal ait accepté d'attendre la décision de l'aide juridictionnelle, ou encore dans le cas où la Préfecture a « expédié » un peu rapidement l'enquête sociale, ou que cette dernière fasse défaut, il existe encore une option trop souvent méconnue des locataires : le référé suspension devant le juge administratif. Cette procédure ne nécessite pas l'assistance d'un avocat, mais elle est quand même un peu complexe à mettre en œuvre pour celui qui n'a pas un minimum de formation juridique. Elle exige de plus le dépôt concomitant d'une requête, généralement, pour abus de pouvoir. Elle ne doit toutefois pas être négligée, car dans bien des cas, elle permet porter à la connaissance du juge administratif les fautes du juge civil ou de la Préfecture...

 

f)  L'huissier

 

C'est l'huissier mandaté par le propriétaire qui est chargé de la procédure d'expulsion. C'est lui qui requiert le concours de la force publique pour l'aider à « mettre dehors » le locataire. Ici, il y a comme l'on dit vulgairement à « boire et à manger ». Certains huissiers vont jusqu'à donner à la famille expulsée des listes d'associations, et même à prendre langue avec ces associations pour avertir d'une expulsion imminente. D'autres agiront à la limite de la légalité. Il faut savoir que pour ces derniers, il existe une chambre des huissiers par département et que bien souvent cette dernière n'hésite pas à prendre des sanctions contre un de leurs membres pris en défaillance. Il existe aussi une section du Parquet qui est compétente pour tous les délits commis par des officiers ministériels assermentés dont les huissiers. C'est là que les photos prises lors de l'expulsion et les enregistrements peuvent être bien utiles.

 

L EXPULSION

 

Cette chaîne aboutit après un délai, qui a été raccourci grâce aux prescriptions du Président sortant et d'un certain Apparu, ministre du logement (il déclarait notamment, dans le style du Président sortant, il est normal que ceux qui peuvent payer aient plus de droit que ceux qui ne payent pas...) et surtout des tenants de la « Révolution Conservatrice », à l'irruption, un jour à l'improviste, de policiers (parfois avec gilet pare-balles...) dans le logement d'une famille. Comme la date de l'expulsion est gardée secrète, la famille menacée vivra pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans une angoisse de tous les jours. Une autre forme du couloir de la « mort »...d'une mort civile comme aimait à le dire un certain Président de la République. En quelques heures (parfois en quelques minutes lorsqu'il s'agit des policiers indélicats comme ceux mentionnés plus haut), la famille est poussée vers la porte. L'huissier fait changé les serrures. Les parents doivent s'occuper de récupérer leurs enfants si ces derniers sont à l'école. La loi fait obligation à l'huissier de conserver pendant un mois les biens de la partie expulsée dans le logement. Pendant ce délai d'un mois, le locataire expulsé a la possibilité de venir reprendre ses biens (et ce même s'ils font l'objet d'une saisie-gagerie). Au-delà de ce délai d'un mois, ces biens seront placés dans un garde-meubles à la charge du locataire expulsé. Ce qui veut dire, qu'au-delà d'un mois, si le locataire expulsé veut récupérer ses biens, il devra payer en plus les frais du garde-meubles.

 

Lors de l'expulsion, il faut surtout prendre des photos de tous les meubles qu'on laisse derrière soi. Cela peut être utile dans le cas d'une contestation sérieuse. Ne pas hésitez, si possible discrètement, à enregistrer tous les propos de l'huissier et des policiers. Là encore, en cas de problèmes, ces éléments seront bien utiles pour obtenir des réparations, comme on le verra plus loin.

 

QUELQUES CONSEILS

 

Le dispositif social voulait que la municipalité, où l'expulsion avait eu lieu, prenne à sa charge TROIS nuits d'hôtel. Cette règle est bien sûr dans la France de la « Révolution Conservatrice » sérieusement battue en brèche. Mais, il est quand même bien utile de réclamer cette solution de relogement d'urgence. Avec ou sans les 3 jours d'hôtel, il faut parer à l'urgence. Pour les plus démunis, ce sera évidemment le SAMU SOCIAL que l'on ne peut joindre qu'à travers un numéro de téléphone unique : 115. Il faut savoir que si ce numéro est gratuit, il peut se passer plusieurs heures avant d'être mis en relation avec un interlocuteur capable de vous trouver un hôtel. Cette opportunité n'existe toutefois que pour les familles avec enfant. Normalement, le SAMU SOCIAL doit trouver un hôtel dans le département où a eu lieu l'expulsion. Mais, ici encore, les choses ont évolué, et bien sûr pas dans le bon sens. Il n'est plus rare de voir des familles « reloger » par le SAMU SOCIAL à bonne distance de leur ancien domicile...ce qui entraîne ipso facto pour les démarches que cette famille doit faire, car pendant 1 mois, elle est considérée sur le plan social comme relevant encore de la commune où était leur ancien domicile, cela pose aussi la question effrayante de la scolarité des enfants...Mais, les enfants de pauvres ont-ils des droits ?

 

Il y a un surtout un conseil à suivre impérativement : ne pas rester seul, il faut absolument se faire aider par une association. La plus efficace est certainement Droit au Logement où l'on trouvera des conseils et des orientations. Il y a aussi le Secours Populaire et, avec des nuances suivant ses localisations le Secours Catholique. Il ne faut pas non plus hésiter à voir les « élus » qui peuvent beaucoup...si bien sûr ils le veulent bien.

 

Enfin, il faut savoir que désormais, l'ancien médiateur de la République, s'est transformé en « défenseur des droits ». Cela permet de faire valoir une contestation sérieuse contre les décisions de la Préfecture ou des agissements indélicats des services de police. Cette option est récente et on ne peut encore porter de jugement sur cette nouvelle opportunité. On constatera seulement que pour une mission multipliée par 100, le médiateur devenu défenseur des droits n'a pas vu augmenter ses moyens matériels qui restent très limités. Il y a donc fort à parier que cette voie juridique sera très vite surchargée, voire bloquée par l'afflux des affaires.

 

CONSTAT

 

Dans une société qui a voulu reprendre les grandes thèses de Malthus, on ne peut guère s'étonner de la terrible répression qui s'exerce sur ceux que l'on définit très bien par le mot « exclu ». Cette haine du « pauvre », qui chez Malthus était aussi le résultat de son déséquilibre mental (sa haine pour son père qui militait pour venir en aide aux pauvres), s'est étendue avec la grande révolution conservatrice lancée aux USA par Reagan et reprise en Grande-Bretagne par Thatcher dans les années 80-90. On sait pourtant aujourd'hui le résultat de cette politique tant sur le plan moral, social et même économique ! N'oublions pas toutefois qu'en Grande-Bretagne, les travaillistes conduits par Blair ne remettront jamais à aucun moment en question les choix de Thatcher. C'est sans doute une leçon à méditer de ce côté de la Manche...

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